Ma mère m'a mis au monde en 1953, dans une maternité de Pavillons-sous-bois. Elle est de Paris, mon père de Martinique. Nous habitions au second étage du 2, rue du Sabot, en plein coeur de Saint-Germain-des-Prés. La famille de ma mère vivait dans cet immeuble depuis plusieurs générations, ce qui faisait que nous étions les mieux logés. L'appartement faisait trente-trois mètres carrés, pour cinq, c'était bien. A la maison ça allait, mais dehors je ne sais pas ce qu'ils avaient contre les Noirs et les Blancs qui se marient et ont des enfants métis, mais les gens étaient vraiment vaches. La perte de l'Algérie, la branlée de Diên Biên Phu, d'avoir acclamé Pétain et ciré les pompes des nazis, un peut de tout cela peut-être qui nous tombaient dessus hors des trente-trois mètres carrés.
Je dois avoir 7 ou 8 ans, je reviens de l'école de la rue Saint Benoît. Au Deux Magots, je traverse le boulevard et arrivé sur les grilles devant le Monoprix de la Rue de Rennes, un homme en costume m'attrape par les cheveux, me jette au sol et me frappe à coups de pieds, en s'accompagnant de ce poème français que j'ai appris par coeur" Sale bougnoule, retourne dans ton pays. Vous nous faites chier, on est en France ici, merde". C'était la première agression raciste dont j'étais victime, je m'en souviens comme d'hier tellement j'ai eu la frousse. Et mal. J'avais pissé dans mon short et il a fallu que je continue comme cela mon chemin. Quelle honte, quelle humiliation et ce sentiment que n'importe qui d'un instant à l'autre pouvait avoir envie de me tuer. Une semaine plus tard, de retour à l'école, je refusais les tortures scolaires et les gifles des instituteurs qui détestaient, eux aussi, les basanés. On m'a envoyé chez le psychologue. Il m'a trouvé agressif. Il a bien fait de ne pas me le dire, je lui aurais prouvé qu'il avait raison.
J'ai fait mes études de psychologie dans une université fantastique, située en plein bois de Vincennes, où l'on apprenait à réfléchir et à penser par soi-même. J'ai eu Stanislaw Tomkiewicz comme professeur.
J'ai vite compris que psychologue dans une institution psychiatrique qui s'occupait de la tranquillité de la société bien plus que la souffrance des gens, n'était pas un travail pour moi. Comme il faut bien manger et que j'avais à nourrir mes jumeaux qui venaient de naître, j'ai fait infirmier psy. Comme cela je n'avais qu'à obéir. Et puis j'aime bien les fous.
A 30 ans, j'en avais ma claque d'être payé des clopinettes, de me faire engueuler pour un oui ou pour un non par des surveillants psycho rigides et des psychiatres sadiques, marre de toutes les horreurs que je devais faire, dont j'étais le témoin.
Ras-le-bol d'attendre que la société change. J'ai décidé de devenir vedette de cinéma, un job moins crevant et mieux payé. J'ai fait les cafés branchés, les restos chers et quand j'entendais des comédiens braillés, j'allais les voir et demandais à être embauché. Ça n'a pas marché tout de suite, j'ai du insister. Puis un jour, je me suis retrouvé sur scène et ça m'a plu et je n'ai plus arrêté durant vingt ans. J'ai tout expérimenté ou presque: Le Théâtre d'avant-garde, celui d'arrière-garde, les auteurs contemporains, les classiques, le boulevard, le cinéma, les séries télé, j'ai joué dans la rue, j'ai été Bibite, le clown de tôle du cirque Archaos où je me faisais traîner par une moto, foutre des coups de barre de fer sur la tête, où j'ai avalé des poissons, pour le plaisir sans prix de faire rire les gens, j'ai dormi dans des hôtels minables, des palaces, en roulotte, crevé de chaud, de froid, de rire, jamais de faim, ni de soif. J'ai joué dans presque toute l'Europe, jusqu'en Russie, dans des cabarets à Berlin, créé le Cabaret Sauvage à Paris où je chantais, dansais, et présentais le spectacle en tant que Marquis de Sauvage, j'ai réalisé un film, des documentaires. Je me suis vraiment bien amusé. Les applaudissements du public, les sunlights, les flashes qui crépitent, les gens qui te reconnaissent dans la rue, c'est vraiment agréable. Un beau jour, je suis parti vivre à la campagne, au calme et me suis mis à écrire des histoires de petites gens emplis d'amour et de fraternité. De petites gens qui non seulement ne se soumettent pas, mais sont déjà passés à l'attaque.