CURIOSITÉS DU VIEUX
MONTMARTRE
LES CARRIÈRES A
PLATRE
1er avril 1893
SOMMAIRE. — Les
plâtrières de Paris et les carrières de Montmartre. — LaVille Blanche, —
Excellence du plâtré de Montmartre; son exportation
eiv Amérique. —
Le plâtre dé Montmartre au Moyen-âge; ce qu'en dit unauteur du XIV»
siècle. — Les plâtriers mouleurs italiens. — Les
règlements de
Saint-Louis, de Jean-le-Bon et de Charles IX. — Office deJaugeur-Toiseur.—Les
Ports-au-plâtre.—Opinion de Bernard dePalissy sur
le plâtre de
Montmartre.
— Le plâtre de
Montmartre en vers latins. — Les Etrennes de Tabarin. —Le triomphe du
plâtre etRegnard. — Le voyage du Dr. Martin Lister à
Paris, en 1698. —
Le prix du plâtre en 1002. — Promesse de bail pour l'exploitation
d'une carrière à Montmartre, vers 1700. — Les carrières
de la butte au
XVIIIe siècle. — Divisions de Pralon en 1780, la haute masse, la pierre
franche et la basse masse. — Ce que Montmartre envoyait
de plâtre à Paris
en 1783.
— Les carrières
de Montmartre après la Révolution. — Les bâtiments del'abbaye démolis
pour l'ouverture de nouvelles carrières. —Nombreuses
contraventions
aux règlements. —Montmartre menacé d'être englouti. —Accidents. —
Réclamations des habitants. — Vérification et rapport de
l'ingénieur de la
commune. — Interdiction des carrières souterraines. »Fermeture
définitive des carrières en 1800. — Consolidation des
carrières :
bourrages et foudroyage\ inconvénients du foudroyage. —Création de la
Pla - ce Saint-Pierre, — La butte auoo-cochons, ~~ Les
Tremblements de
terre de Montmartre. — Les carrières devenues asiles denuit pour les
vagabonds. Craintes des habitants. — Ce qu'en disent
Gérard de Nerval
et Monselet. — Les sorciers, les jésuites, les frèresRose-Croicc,
Marat et les insurgés de 1848 dans les carrières >lo
Montmartre. — Les
dessins de George Michel et les rochers de M. Alphand,
Dans son Paris -
Capitale , Edouard Fournier s'est trompé-en disant quele plâtre est un
peu'partout, et que, avant de remprunter à Montmartre
et aux buttés Chaumont, on le tirait du sol de la rive droite, depuis laSeine jusqu'aux
collines (1). Gela est d'autant plus faux que c'est
impossible : la
masse du gypse existant à un niveau géologiquebiensupérieur à
celui de la yallée parisienne* L'erreur de Fournier
provient de ce
qu'il avait basé son assertion fctir quelques anciennesdénominations de
rues de notre vieux Paris, telles que* par exemple, la,
rue Plâtrière>
la rue du P^rè-au-Marais et- la rue duP/a^-Saint-iJàcquës
(2) ; tandis que ces
(1) Edouard
Fournies Paris-Capitale > Paris 1881^ in-12, p. 22 et 23.
(a) La îaie de la
Plâtrière s'appelle rue Jèàn-Jacqués^Rbusseati depuis1871; -^ La rué
cl il Plâtrë-aû'Marais existé encore. —-, La rue du
Plâtre-Saint-Jacques
a été absorbée par Je percement du boulevardSaint-Germain,
vers 1855* dénominations rappelaient tout simplement que
des plâtriers y
avaient habité, ou bien, comme Ta dit Sauvai (1), qu'ony avait établi
des plâtrières, c'est-à-dira des dépôts ou des magasins
où l'on préparait
le plâtre avec des tamis en fil de laiton, genred'industrie cité dès
le treizième siècle par le poète Guillot, dans son
Met des Rues de
Paris, au sujet de la rue Lingarière (9),
Là où l'en a
mainte plastriôre D'archal mise en oeuvre pour voir Plusieurs gens
pour leur vie avoir.
D'ailleurs, il
n'a jamais été, que je sache, constaté de tracesd'excavations de
carrières dans les parages de ces rues,
Au contraire,on
doit affirmer que Montmartre,bien avant tout autre lieu,fournit son
plâtre à Paris, d'abord parce qu'il en étai t plus rapproché;
ensuite, parce que la puissance de sa massé de gypse étaitbeaucoup plus
considérable,:;" presque le double de celle des buttes
Ghaumoht. Pour en
témoigiier, voicij du reste, un dicton populaire trèsancien, dont
l'ambiguïté marqué parfaitement l'intention : Il y à plus
de Montmartre à
Paris que de Paris à Monlmc^0è. Il est évident que ce jeu dé mots n'énonce
pas une ineptie sur la dis(1)
Sauval,,t. 1er,
p. 78.
(2) Au treizième
siècle, la rue Lingarière, située entre la rue
Beaubourg et la
rue SaintMartin, s'est appelée aussi rue de la
Plâtrière; au
quatorzième, rue de la Corroirie ; au Quinzième, rue de la
Plastaye ; depuis
le nom de la Corroirie a prévalu ; à partir de 1851,
elle a été réunie
à la rue de Venise, _ (3 —
tance réciproque
do Paris et de Montmartre, mais qu'il a pour objet le
plâtre: qu'on a
tiré de la butte Montmartre pour construire les
nvmonsdela
capitale. « D'où est venu », dit Sauvai qui a relevé ce
dicton, « le nom
de Ville Blanche que quel« ques auteurs anciens et
célèbres ont «
donné à Paris, à cause de la couleur du « plâtre (l). »
Bien avant
Sauvai, le P. Du Breul s'exprimait ainsi, quant
âTétymologiedu
mot Lutèce ou Lucotèce (^) ; « Les Grecs, se« Ion le
témoignage de
Ptolêmée, géogra
«: nous pouvons
interpréter Blanche% puis-. « que Leucotis en grec
signifie
blancheur, « Et ce, non seulement pour le respect des
((habitants qui
sont corporeilement ((blancs, ou pour la candeur de
leurs « moeurs,
mais aussi a cause de l'assiette « de la ville
complètement
blanche, ayant «d'un côté les quarrières, et de l'autre «
les plastrières.
 quoy semble tendre « ce distique de Janus Lascaris (3) :
« Nativo
Leucoteciam candore coruscam . « Dixere, ex etymo Gallica terra
tuo. »
(1) Sauvai, t.
1er, p. 3ô0.
(2) Du Breul, le
Théâtre des Antiquiiez de Paris, Paris, 1612, in-4°, p. 4.
(3) Jean
Lascaris, savant helléniste de la Renaissance, originaire de
Phiygie, qui
s'était'retiré a la cour des Médicis après la prise de
Gcnstantinpple par
les Tares, vint en France sous Charles VIII, donna
des leçons de
grec à Budé et h Danès, fut ambassadeur de Louis XII à
Venise, reçut de
François Ier la mission de fonder la
bibliothèquedeFontainebleau,
et mourut en 1535, âgé dé.90 ans., En cela,
nous pouvons
néanmoins reconnaître que Sauvai et Du Breul n'ont pas
infirmé la
gaillarde expliaation donnée par leur docte et
joyeimprédécesseur,
Rabelais, au chapitre XVII de son Gargantua.
Toutes les
anciennes descriptions des •environs de Paris ont répété à
l'envi que les
principales sources dès richesses de Montmartre furent
ses carrières. Il
est incroyable quelle masse énorme de plâtre cette
montagne fournit
à Paris, Au commencement de notre siècle, elle
pourvoyait
encore, a elle seule, à: plus d.e§ trois quarts de ce qui
était nécessaire
pour les besoins de sa consommation, et, de plus, elle
en exportait
chaque année des quantités considérables (1). Le plâtre de
Montmartre était
le meilleur qu'il fût possible de trouver pour le
modelage et pour
la construction ; d'où est résulté cet autre dicton, où
la rime
intervient :
C'est de
Montmartre qu'on extrait Le plâtre le plus parfait.
L'excellence de
sa qualité lui avait acquis jadis une telle réputation,
qu'il faisait
concurrence sur bien des marchés lointains aux plâtres
indigènes (3); on
eii expédia longtemps en Angleterre et même jusque
dans le
Nouveau-Monde. Si bien
(1) Dict. histor.
topogr. et milit. des envi • {rons de Paris, 1817, ia-12.
(2) L. Simonin,
les Carriers et les carrières, dans Paris-Guide, 1868,
in-12, p. 1598.
_ 8 —
que, par esprit
de réclame, dès que les buttes Ghaumont vinrent â
prendre ïa
succession de Montmartre épuisé, leurs carrières usurpèrent
pompeusement le
titre de Carrières d'Amérique* Avec une variété de gypse
très recherchée,
connue sous le nom de Montmartrite* qui résistait â des
intempéries de
saison que le plâtre ordinaire ne pourrait supporter, on
extrayait aussi
des fiancs de notre butte une sorte de faux albâtre très
estimée qu'on intitulait
alabastrite (1), ou mieux encore onyoo de
Montmartre (2).
Cette pierre n'avait pas la solidité ni la dureté de
l'albâtre
calcaire, dont elle présentait quelque analogie ; mais elle
était employée
dans la fabrication d'objets d'ornementation, tels que
vases, supports,
etc.
On peut également
affirmer sans crainte d'être révoqué en douté que le
plâtre a été
exploité à Montmartre de temps immémbrial^puisquë dès le
troisième siècle
de notre ère, a l'instar des premiers chrétiens
réfugiés dans les
catacombes de Rome, c'est aussi l'excavation
souterraine d'une
carrière qui Servit d'oratoire à saint Denis et à ses
compagnons
persécutés et fut, rapporte la pieuse légende, leur dernière
station : les
Mêlés en marquèrent par la suite l'emplacement en érigeant
au des(1)
Alabastrite,
ftAlabastre en Egypte > d'oie les anciens extrayaient cette
roche. Les Grecs
donnaient le nom d'Alabastron à des vases oit ils
mettaient leurs
parfums ;
(2) Maury, la
Terre et l'Homme, Paris, 1861, in^ p. 159.
sus cette fameuse
chapelle dite du Mar* tyre ou des Martyrs, K
Lors de la
fondation d'une seconde chapellenie dans la chapelle du
Martyre^ en.
1304, parTécuyer Hermer, c'est sans au* cun doute â une
ancienne
exploitation du voisinage qu'il est fait allusion, dans la
charte qui
concède au nouveau chapelain une vigne sise au lieu dit la
CamHère (1),
lequel est d'ailleurs mentionné dans le registre des
comptes de
l'abbaye de 1628 àl647 (2) comme étant proche de la chapelle
du Martyre >
C'est vers cet endroit que conduisait un chemin qui, avant
d'être baptisé du
nom de Sevèste, le fondateur du théâtre de Montmartre,
s'appelait rue de
là Carrièreé
Suivant Ghéronnet
(3), c'est sous le gouvernement de l'abbesse Isabelle
de Rieux que,
pour la première fois, il est parlé du plâtre extrait de
la montagne. Il
en est question à propos du transport d'un bail fait, en
1373, par maitre
Bernard, chanoine de Paris et collecteur du pape, à
Jean Porrée,
bourgeois de Paris , et à Perrenelle, sa femme, de trois
arpents et un
quartier de terre situés à Montmartre, au lieu dit la
Couture devant
les Martyrs^ moyennant une mine de blé, mesure de Paris,
par chaque
arpent, à acquitter annuellement au grenier de l'abbaye, avec
(1) Ghéronnet,
Histoire de Montmartre, p. 166.
(2) Archives
nationales, section administrative, H. 4032.
(3) Ghéronnet,
Loc. cit. p. 80, 81.
-10deux
sols six deniers
parisis de cens. Ge bail donne en outre le droit
d'exploiter ia
.plâtrière existant dans le sous-sol, à la charge de six
deniers parisis
pour chaque centaine de voitures de plâtre sortant de la
carrière. Il est
â remarquer que le bail de Porrée ne lui permet de
fouiller que sous
les trois arpents, et non sous le quartier qui est
trop rapproché du
chemin, et lui enjoint, de plus, de tirer sa pierre
d'une façon qui
ne compromette pas la sûreté ni ne gêne la commodité
publique (1).
Il est pourtant
certain que Montmartre fournissait du plâtre A, Paris
depuis longtemps.
L'usage en était déjà universel au XIVe siècle, et
même, à ce qu'il
paraît, aussi multiple qu'aujourd'hui, En effet, voici
dans quels termes
en parle un savant de ce temps-là, Barthélémy
l'Anglais, dans
son De proprietatibus rerum* sorte d'encyclopédie
latine, dont, en
1372, Charles V ordonna la traductiou en français.
« En France a
moult de belles quarriè« res où l'on prend les pierres
pour faire « les
nobles édifices, et en particulier la « pierre en tout
Paris, ou est le
piastre en « grant foison ; lequel est comme verre «
qnand il est Gru,
et dur comme pierre; « Et quand il est cuit et
détrempé d'eau^ «
il se convertit en cyment, dont on fait « les parois
des beaux
édifices et lespare« ments des maisons. » (De la propriété des
choses, chap.
XV.) *. Evidemment, ce plâtre qui à l'apparence, du verre
n'est autre que
le sulfate de
(1) Archives
nationales JJ 3g p. 189. ; _ 11 -_,
■«ïhaux
cristallisé, lamellaire et transparent, qu'on rencontrait
autrefois en
abondance dans les masses gypseuses de Montmartre (1).
L'histoire ne dit
pas si, dès le moyen âge comme à notre époque, les
mouleurs italiens
venaient dans la capitale modeler avec cette matière
si pure leurs
pieuses statuettes. Dante, qui a étudié à Paris, et qui
parle des
banquiers lombards déjà établis chez nous dé son temps, né mon
tionne pas les
plâtriers de la péninsule. Il faut croire qu'ils iié
seront venus que
plus lard, après la Renaissance, quand le réveil de la
sculpture aura
donné au peuple le ;goût des blanches ftgulines.
Aujourd'huU ces
artistes nomades, étatblis autour de Montmartre et dé
Bellëville,
•moulent avec le plâtre toutes sortes d'objets d'art, des
Vénus de Milo et
des Diane de Grabies, des sainte Vierge et des saint
Joseph, et tout
cela au plus bas prix. On •les rencontre le soir sur les
boulevards, le
long des quais, portant tout leur musée sur leur tête, ou
l'exposant sur le
parapet d'un pont; et ce qu'on remarque avant tout,
dans leur modeste
et riant étalage, bien digne souvent d'arrêter les
regards du
passant, c'est l'emploi aussi heureux .qu'utile d'un des
matériaux les
plus communs et les plus purs de notre sol parisien, le
gypse, à la molle
et t.anaparente blancheur de neige quand il a été
calciné.
(1) Hcefer,
Éisïoïre de la chimie, Paris, 1866, ^^iiWf^^Oi'-,^ '
— 12 —
Pour la commodité
de leur commerce,, dont l'importance s'était si
rapidement
àécrue, les carriers de Montmartre avaient de bonne heure
établi, dans
l'intérieur de Paris, plusieurs dépôts de plâtre où ils
l'amenaient après
la cuisson, et lorsqu'ils n'avaient plus qu'à lui
faire subir les
dernières préparations, telles que battage 1), corroyage
et tamisage.
L'existence de ces magasins, appelés plâtrier es > est déjà
indiquée, au
XIIIe siècle, par quelques dénominations de rues ; telles
sont, sur la rive
gauche, la rue du Plâtre-Saint-Jacques, où des
Plâtriers., la
rue du PlâtreSaint-André ou du Battoir* et sur la rive
droite, la rue du
Plâtre-au-Marais9 la rue de la Corroirie, qui fut
aussi rue de la
Plâtrière et rué de la Plastaye.
Sous le règne de
saint Louis, on voit les plâtriers de Paris, d'une
manière toute
particulière, à côté des maçons et des mortelliers, dans
les règlements du
Livre des Métiers, d'Etienne Boileau , notamment en ce
qui concerne les
amendes ou peines à encourir cour tromperie sur la
mesure et la
qualité du plâtre! Gomme les maçons et les mortelliers, les
plâtriers étaient
placés sous la bannière de saint Biaise (2).
i ■'- II' "
* m »
(1) D'où est venu
l'expression populaire r Battre comme plâtre, pour
dire frapper avec
excès et vigueur.
> (2) Voir le
Livre des Métiers d'Etienne Boileau, dans la Collection
des documents
inédits sur Vhist. de France, Paris, 18B7, in-4<\ p. 3, —.
ou bien dans^ la
collection de l'Histoire générale de Paris, Paris,
1879, in-fo,p.90.
— 13 —
D'après
l'ordonnance de Jean le Bon, de février 1350, sur la police du
royaume, les
plâtriers ne devaient vendre ieur marchandise.que 24 sols
le muid en hiver,
et 18 en été, et les batteurs de plâtre recevoir, pour
salaire, un tiers
en sus de ce qu'ils avaient avant la grande peste de
1348, par chaque
muid à tâche (1).
Mais deux siècles
après,, la police de la vente du plâtre était tombées
désuétude, et il
en était résulté de tels abus qu'il fallut un règlement
de Charles IX, du
4 février 1567, pour rétablir la discipline sur cette
matière. Celte
nouvelle ordonnance prescrivait aux plâtriers de vendre
le muid de plâtre
à raison de 36 sacs, contenant chacun 4 boisseaux ;
ledit plâtre bien
cuit et bien battu. Il était en outre défendu aux
maîtres plâtriers
de vendre leur denrée à leurs haquetiers,,pour
queceux-ci le
revendent aux bourgeois et maçons, etc. (2;.
Nous avons dit
qu'on expédiait le plâtre de Montmartre très loin. Pour
les villes
voisines de Paris qui s'en approvisionnaient, elles le
faisaient venir
par eau, c'était le moyen de transport le plus commode
et.le moins
coûteux.
On transportait
le plâtre en moellons, parce que, étant cuit, il
risquait de
s'éventer et de perdre sa qualité. Pour la facilité de ces
expéditions, il y
avait à Paris
(1) Secousse ,
Ordonnances des rois de France de là #e race, t. II,
février 1350.
<2 de="" iv="" la="" mare="" ment="" police="" suppl="" t.="" trait=""> p. 44, 45.2>
2*
— 14 -
deux ports
considérables de chargement,:: l'urtj au-dessus de la
Bastille (1),
pour lés approvisionnements des villes de là hauteSeine,
telles que
Corbeil, Melun, Fontainebleau, Sens, etc.; l'autre, à
Argenteuil, pour
le service de la basse Seine jusqu'à Rouen. Il y avait
dans chaque port
un fonctionnaire chargé de la réception de lapierre, à
mesure qu'elle y
arrivait, et de son toisage dans les bateaux. La charge
de
jaugeur-toiseurdu plâtre était d'origine* très ancienne, un arrêt du
parlement du 16
juin 1410 lait vc'r qu'elle existait déjà en 1317; Aux
termes de
l'ordonnance de* 1415 faite pour la juridiction de l'Hôtel dé
Ville, cette
charge avait été réunie à< celle de maître des ponts de la
Ville ; mais*
elle fut définitivement rétablie par Char* les IX, en
avril 1568 (2).
>
Une mention du
plâtre de Montmartre est encore faite, au XVe siècle,
dans une
description de Paris écrite par Guillebert de Metz (3). Un
témoignage qu'il
faut bien nous garder de passer sous silence est celui
de Bernard de
Palissy ; il est peut-* être peu connu, On sait que, par
la substitution
dé la méthode expérimentale aux
(1) La rue des
Charbonniers à Bercy a porté primitivement le nom de rue
du Port au plâtre
ainsi que la partie du quai de la Râpée, sur laquelle
elle aboutit.
(2) Delamarre,
Loc cit. t. IV.p. 45, 46.
(8) Guillebert de
Metz. Description de Paris au XVo siècle, publiée par
Leroux dc^ Lincy,
Paris 1854 p. 80. ......
— 15 —
traditions
spéculatives de la scoiastique, Bernard de Palissy, aussi
grand savant que
grand artiste, avait devancé de trois siècles le
progrès de la
science moderne, notamment en ce qui regarde la chimie; et
que, en fait de
géologie, il fut le précurseur de Cuvier et de
Brongniart. Or,
c'est au chapitre des pierres, contenu dans les «
Discours
admirables de la nature des eauoe et fontaines..., » qu'il
publia en 1580,
et où l'on voit poindre le germe de la théorie des
formations
sédimentaires, que nous empruntons les lignes suivantes, à
titre, de
document curieux concernant notre sujet :
« Il y a deux choses
qui donnent la duce reté aux pierres, l'une est
abondance xc
d'eaUjFaûtre est la longue décoction : car « plusieurs
pierres peuvent
être engen« cirées d'eau, qui toutefois ne sont pas «
dures! Nous en
avons un fort bel exem« pie aux plastrières dé
Montmartre, près
«Paris, car parmy icelles il se treuve « certaines
veines d'un
piastre qu'ils appellent hif ou miroirs, lequel se fend «
comme ardoise,'
aussi tenue que feuille « de papier, et aussi claire que
5 verre, il « est
comme une espèce de talc ; sa dia« phanité pu
transparence,
nous donné « bien àcônnoistre que la plus grande « part de
son essence n'est
autre chose « que de l'eau : toutefois il se calcine,
et « Ion en
besongne tout ainsi quexle TaUf « tre piastre... » (1).
(I) Cptiqres
complètes de 3ernà)*tf de., Palïssy, Paris 1844 iri-12 p.
293. ' ,
— 16- —
Ces miroirs ou
hif, sont bien en parfait rapport avec « le piastre...
lequel est comme
verre... » que nous avons déjà vu signalé par
Barthélémy
l'Anglais, deux siècles avant Bernard de Palissy, et qui
n'est autre que
cette variété cristalline de gypse feuilleté, à brisures
en fers de lance,
nommé sélénite par Dioscoride, parce qu'il reflétait
la lumière de la
lune. Pour les anciens, c'était encore la pierre
spéçulaire, (1)
et pour nos carriers modernes, là pierre à Jésus, le
miroir oVâne, ou
le faux talc. Elle fournissait au modelage
Après les
savants, qui ont dans leurs doctes écrits, consacré la
réputation du
plâtre de Montmartre, les poètes, à leur tour, ne
pouvaient manquer
de célébrer, en leurs chants, ses vertus et ses
propriétés : rien
ne devait faire défaut à sa gloire. Un avocat de
Ghâteaudun, du
nom de Rodolphe ou Raoul Bouterais, devenu et à la
sculpture le
plâtre le plus fin et le plus beau.
(2) Pierre
spéçulaire, du latin spéculum (miroir). C'est au temps de
Senèque, cju'on
doit rapporter l'origine et l'usage des pierres
spéculaires. Les
Romains s'en servaient pour garnir leurs fenêtres,
comme nous y
employons le verre ; ils s'en servaient aussi pour les
litières des
dames et pour les ruches, afin d'y pouvoir considérer
l'ingénieux
travail des abeilles. L'usage de la pierre spéçulaire était
si général, qu'il
y avait des, ouvriers, dont l'unique profession était
de la travailler
et de la poser. (Noël etè Garpentier, nouveau
Dictionnaire des
Origines, inventions et découvertes, Paris 1827i
ïri-8*, t. 1I>
pi 667).
— 17 —
avocat au grand
Conseil de Paris, vers la fin du seizième siècle,
occupait ses
loisirs à composer des ouvrages d'histoire en vers latins.
Il a laissé,
entre autres, un poème intitulé Lutetia (1), où se trouve
un éloge si
pompeux du plâtre de notre butte, qu'il y aurait vraiment
quelque
ingratitude à le laisser dans l'oubli. On nous saura peutêtre
gré de ne pas en
exhumer le texte latin, mais de reproduire seulement la
traduction qu'en
a donnée Chéronnet (2) :
« Là où les
compagnons de saint Denis « furent mis à mort, sur le sommet
d'une c montagne,
existe encore un village qui « prend son nom du
martyre de ces amis
« du Christ. C'est de ce lieu qu'on tire la «
pierre, et là
même qu'on cuit le plâtré « si utile et si souvent employé
dans la «
construction de nos maisons, que par « l'éclatante blancheur
dont il les revêt
« Paris semble .une ville drapée de neige. « C'est au
constant usage de
cette matière « froide et qui brave les atteintes de
la « flamme, que
notre cité doit sa tranquil« lité contre les accidents
du feu et n'é«
prouve que de rares incendies.
« Les montagnes
de la Bohême enfan« tent, après de nombreux hivers, le «
cristal durci
dans leur sein ; la Germa« nie nous donne le cuivre ; les
plaines «
d'Espagne nous fournissent l'acier; du « flanc des Pyrénées
nous arrachons le
(1) R» Bouterais,
Lutetia, Paris 1611, in-12 p. 135,136.
, (2) Chèi,otmetir'Stsloir&-de
Montmartre, p.
— 18 —.
« marbre. Toutes
ces richesses de la terrp « sont d'un plus rare emploi
et moins «
communes que notre modeste plâtre, « dont la riche veine
croit sans cesse
dans « une carrière inépuisable.
« Le plâtre* !
cette substance qui prend « toutes les formes, qui mêlé
avec l'eau « se
liquéfie et bientôt, se durcissant, se « prête à toutes
les inventions, à
tous « les caprices du génie et, comme une cire «
molle et
complaisante, devient, sous la « main de l'habile ouvrier, tout
ce qu'il « lui
plaît d'en faire, soit ornement, soit « relief ou statue,
et à qui il ne
manque, « ;pour égaler le marbre, qu'un peu de « dureté
et de solidité. »
<
La popularité du
plâtre de Montmartre ne devait pas s'arrêter en si beau
chemin ; comme
toute popularité, elle courut un peu les rues, et les
tréteaux mêmes du
pont Neuf en retentirent. Ainsi dans la généreuse et
vaste
distribution des choses « sûperlicôquentieuses » qui composent le
menu de ses «
Etrennes universelles pour Van 1021 », Tabarin donne « aux
piastriers les
costes de Montmartre » (1).
Mais, il faut
bien l'avouer, pour établir àuthentiquemént la notoriété
du plâtre de
Montmartre, l'assertion plus grave et plus autorisée d'un
homme de l'art
conviendrait certes beaucoup mieux qu'un coq^à-l'âne de
bateleur,: fût-il
le plus mirifiqueméut tabarinesque du monde. Aussi
n'omettrons-nous
pas de rappeler qu'un demi-; ■ ■ i ■ <■'■ ,■ '
.' (1) OEuvres de
'.Tabarin, édition Garnier, in-12, p,315.
— 19 —
siècle plus tard
Félibien des Avaux , membre et secrétaire de
l'Académieroyale
d'architecture, enseignait que le plâtre « le plus
estimé » est
celui.de Montmarrtre (1). Cette fois, le témoignage émanant
d'un maitre « du
bâtiment » a bien la valeur d'une consécration.
La fin du grand
siècle marqué le triomphe du plâtre dans la décoration
intérieure Tdenos
maisons. On ne voulait plus de solives apparentes aux
planchers,
fussentelles dorées ou ornées de peintures. Un bel enduit
bien blanc et
bien lisse, encadré de corniches à moulures élégantes,
devait les
remplacer. C'était le règne du feston et de l'astragale, et,
naturellement, le
plâtre de la butte fit les frais de la mode nouvelle.
Aussi Régnard,
qui ldjgeait au bout de la «rue Richelieu, sur le
rempart, et que
rïen *ie gênait alors pour voir dé ses fenêtres
jusqu'aux moulins
et aux carrières de Montmartre, n'oublie-t-il pas dans
une épître, où il
parlait de son gîte et de sa perspective, la blanche
colline,
.,.!...... dont
les antres profonds
Fournissent à
Paris l'honneur de ses plafonds (2).
Considéré à un
point de vue essentiellement technique, le plâtre de
Montmartre
«figure sur les tablettes de voyage du docteur anglais Martin
Lester, Mais sa
réputation ne gagnerait peut-être rien à franchir ainsi
les mers, il est
vrai que, cette
W—wiiÊii ■
I^M—^IWIIIM »„m ■ ■! ■■■—■ ———^a» ■■■■■i—ammM——9
\ (1) Félibien,
des Principes d'architecture, Paris, 1676, in>4<> p.
698.' (2)
Régnard,- Epître, VF.
- 20 -
fois, nous sommes
en présence d'un An/ glais disposé par nature à peser
plutôt les
inconvénients des choses que leurs qualités, et dont, en
d'autres termes,
le fait habituel et dominant n'est point
l'enthousiasme.
Voici, néanmoins, d'après la traduction donnée par
l'excellent
bibliophile et bibliographe parisien, M. Paul Lacombe, ce
qu'a écrit cet
estimable insulaire dans la relation de son Voyage à
Paris en Van 1698
(1) :
« Le plâtre donne
ici de grandes facili« tés pour la construction, parce
qu'il se « travaillé
aisément ; on en fait des mot« tes que l'on place
les unes sur les
au« très, et on élève ainsi une cheminée ou « mur de
plusieurs pieds
de haut (2); « mais cette construction se dégrade faci«
lement, et il
n'est pas aisé de la réparer* « Ce plâtre sèche et se
durcit si
prompte« ment qu'il semble impossible de le mé« langer avec du
sable pour le
faire pren« dre. »
Si Ion veut avoir
un aperçu du prix du plâtre 'à cette époque, il faut
connaître le
volume, déjà vieux de deux siècles, et qui a le mérite
d'avoir été en
quelque sorte le premier almanach Bottin du commerce et
de l'industrie de
Paris: nous voulons parler du Livre commode des
adresses pu(1)
Paul Lacombe,
Bibliographie parisienne (Tableaux de moeuis;, Paris
18S7,in-8°, p.
13, col. 1.
(2) Ces mottes bu
boulettes de plâtre sont ce qu'on appelle, en terme de
chantier, des
pigeons, d'où l'on a .fait le mot pigeonnage pour indiquer
ce mode de
construction.
blié, en 1692,
par Abraham du Pradel. Oh trouve, en effet, au chapitre
consacré à
l'architecture et la maçonnerie, que le muid de plâtre de
Montmartre, de
Montfaucon et de Norillon sous Belleville, coûte rendu 6
livres, et au
nlus 6 iivres 10 sols à lç, mesure et au choix. Soixante
ans plus tard, ce
prix était augmenté d'un tiers (1).
Il n'est pas non
jjlus sans intérêt de signaler, pour mémoire seulement,
le texte d'une
promesse de bail rédigée, vers 1700, au nom de l'abbesse
de Montmartre,
pour le profit d'un sieur Lamarre, marchand plâtrier (2).
Dans ce bail,
sont réglées les conditions de l'exploitation à ciel
ouvert d'une
carrière de plâtre située au pied du versant nord-ouest de
la butte, sur le
lieu dit la Hutte-auoe-Gardes* du nom d'une ancienne
remise à gibier
des capitaineries des chasses du roi.
A
Enfin, si l'on
jette un regard sur les anciens plans de Paris, notamment
ceux du
dix-huitième siècle, on voit la butte entamée de toutes parts et
éventrée en tous
sens. Il y a un trou de carrière dans l'enclos du
prieuré du
Martyre, au milieu des vignes du haut et du bas Coteau, tandis
(1) Abr. du
Pradel, le Livre commode des adresses, édition de la
Bibliothèque
elzévi^ rienne, aves notes de M. Ed. Fournier, Paris 1860,
in-12, t. II, p.
105 et.106.
(2) Éd. de
Barthélémy, Recueil des
278.. ; .
*
— 23 .—
que de hautes et
larges entailles^ à pic comme des
ialaises^échâncréntlàbuttieduf
sud àl'est* engloutissant dans leurs pro*
{ fondeurs la sou
rçe et le ru isseau de la Fbhtehelié ; du nord à
l'ouest, la
montagneést rongée et mênieemportée par d'immenses
exploitations à
ciel ouvert, dont^ le souvenir est resté attaché au nom
du quartier qui
les a remplacées, -ainsi- qu'à l'éçritèàù dé leur ancien
chemin dé
desserte, aujourd'hui la rue dès GrandesCarrieres, qui
conduisait à la
Hutte-auxGardes;
Mais* pour
suppléer à l'insuffisance de cet aperçu à vol d'oiseau,
assurément trop
ranidés voici d'âilieùrs, sur les carrières de
Montmartre au
siècle dernier, le ta> bleau descriptif qu'a laissé
Pralon* un savant
contemporain dé ce térnpà-là (1) : :
« La
butfèMphtmàrire « gypse, lié marne, de ôablôn et d'une « couche de
terre végétale
qui en couvre « le sommet et tous lès endroits qui sent
«. cultivés. Les
ouvriers qui travaillent à « faire du plâtre ont divisé
cette butté en «
trois parties :
« La première,
qu'ils nomment la « haute masse, parce qu'elle en.occupe
la « partie la
plus élevée, a cinquante-deux « pieds de gypse distribué
par bancs po« ses
les uns sur les autres sans interrup« lion qu'une
couche presque
impercep« tible de matière étrangère qui les sépare
(1) Voir le t.
XVI des Observations sur la physique (juillet-décembre
1780). Paris,
1780, in-4op. 280 et suivantes.,
■- ;; " —.23
—
•« les uns des
autres. Cette masse porte « sur environ douze pieds de
marne. Les « deux
carrières les plus voisines de l'ab« baye, l'une dans
la partie
orientale, et « l'autre dans la partie occidentale, sont «
pratiqu ées dans
cette partie.
« La seconde, à
laquelle ils donnent le « nom de pierre tranche, a
quatorze « pieds
de gypse disposé aussi par bancs « contigus et soutenus
par douze pieds «
de marne. Cette partie n'a pas de car« rière propre ;
car, outre les
bancs qui « lui appartiennent, elle a toujours, au «
dessus des marnes
qu'elle soutient, quelle ques bancs de la haute masse
qui s'ex«
ploitent en même temps que les siens. « La plupart des
carrières de la
partie oc« cidentale de la butte sont ouvertes en a
partie dans la
haute masse, et en partie. « dans la pierre franche.
« La troisième se
nomme, et avec rai« son, la basse carrière; c'est en
effet la « plus
basse et même la dernière des cav« rières, puisque les
ouvriers y
tiennent « le dernier banc de gypse.
tf Cette carrière
a environ quatorze <« pieds de gypse distribué en six
bancs ; « mais
ils ne sont pas contigus, comme a dans les autres parties
: ils sont, au «
contraire, séparés les uns des autres par « des couches
de marne plus ou
moins « épaisses. Elle n'est pas dans le corps de « là
montagne, elle
est creusée dans cette « plaine qui se trouve au-dessous
du che« min qui
va de Monceau àClignancourt.» . Bref,toutes ces
exploitations
acquirent Une telle importance que , suivant une
— 24 —
lettré adressée,
en 1783, à monseigneur l'intendant de la généralité de
Paris, Michel de
Trétaigne nous apprend que, vers la fin du siècle
dernier,
Montmartre envoyait journellement dans Paris cent vingt muids
de plâtre. A
cette époque, où les droits d'entrée sur cette matière
étaient de quatre
livres par muid, Montmartre produisait ainsi à la
ville de Paiis un
revenu considérable (1).
A dater de
l'époque révolutionnaire-» l'exploitation des carrières de
Montmartre prend,
avec un redoublement d'activité, une extension
nouvelle. Tandis
qu'on abandonne à la sépulture des morts tout le vaste
espace situé au
sud-ouest de la montagne, et que de nombreuses fouilles
avaient peu a peu
transformé en une sorte dé vallon, c'est en plein
coeur de la
butte, dans le sol même de son antique monastère, que les
carriers vont
désormais porter leur pic ; et ils n'auront plus besoin,
poar cela, de
demander de permission à l'autorité abbatiale. Car les
temps sont
changés. An nom de la loi, religieuses et abbesses ont été
expulsées de leur
domaine, mis en vente comme bien de la Nation. Les
saints ont été
déclarés des cidevants et Dieu un suspect : on est en
l'an 1792. Aux
chapelles et aux oratoires vont
(1) Michel de
Trétaigne, Montmartre et Clignancourt,pt 157.
~ 25 —
succéder dés
fours à plâtre, dont la fumée remplacera celle de l'encens
; et là où
passaient naguère de dévotés processions, on n'entendra plus
que le grincement
des roues des chariots et des lardiers, on ne verra
plus que des
rampes abruptes, sillonnées d'ornières profondes, au lieu
des allées fleuries
du jardin conventuel.
Pour commencer,
c'est à un plâtrier qu'échurent les bâtiments
claustraux. Cet
industriel en avait fait l'acquisition dans l'espérance
que les caves lui
donneraient un accès plus direct dans le sous-sol de
la butte, et le
mettraient ainsi plus à même d'en extraire le gypse. A
cet effet, il
s'empressa de tout démolir, et comme dans son lot se
trouvait la
chapelle du Martyre, il n'hésita pas non plus à la jeter bas
comme le reste,
sans en laisser un seul moellon. Il n'en respecta pas
davantage la
partie souterraine, cette fameuse crypte qui gardait, avec
de précieuses
reliques, la mémoire de saint Denis et d'Ignace de Loyola,
mais qui, aux
yeux de l'intéressé, n'en restait pas moins un ancien
cavage de
carrière, d'une exploitation très commode à poursuivre. Si
bien que,
lorsqu'il eut fait son trou, la ruine souterraine suivit de
près la
destruction extérieure, et qu'en 1795 il ne restait déjà plus
aucune trace des
deux sanctuaires composant la chapelle du Martyre, ni
de celui gui
était audessus du sol ni de celui qui était au dessous.
Mais il paraît
que ces démolitions ne portèrent point profit à leur
auteuiycar cet
homme, malgré ses vastes entreprises et un nom qui
présageait la
prospérité,
•. — 86 —
finit misérablement
ses jours dans un hoshospice d'aliénés (1). ;y
L exploitation
des carrières de Montmartre prit, dès lors, une allure si
active, qu'en
moins de cinquante ans il ne restait plus rien à extraire
de la butte, à
moins que d'aller fouiller sous les rues et les maisons,
et l'on n'y avait
déjà guère manqué. Grâce au peu de sévérité ou au
défaut de
surveillance de l'administration, les plus graves et lès plus
nombreuses
contraventions aux règlements en étaient résultées, notamment
en ce qui concerne
l'article 29 du décret du 22 mars 1813, prescrivant
que les cavages
de toute espèce ne pouvaient être poussés que jusqu'à la
distance de dix
mètres des chemins à voiture, de& édifices et de toutes
constructions
quelconques, plus un mètre par mètre d'épaisseur de
recouvrement.
(Les amendes infligées aux carriers devaient servir à
l'entretien des
consolidations que l'administration avait prises à sa
charge.)
Ces prescriptions
n'étaient pourtant pas nouvelles ; elles avaient pour
précédent un ancien
arrêt du 9 mars 1633, où il était fait « défense à
tous carriers et
à toutes « personnes de fouiller où faire fouiller, «
tirer ou faire
tiier de la pierre ou du « moellon d'aucune carrière à
moins de « quinze
toises des grands chemins, con« duits de fontaine et
autres ouvrages
pu« blics, à peine dé punition corporelle et « amende
arbitraire». Le
même arrêt or>■ donnait en. outre, sous les mêmes peines,
' I I I I I ■■ -
I ■ ■ I - M l !■■"-■ I ' _ - \ .!_■ ' ----- - - - - - ^
(1) Ghéronnet, 1 Hist.
de Montmartre,1^ 58.
- 27 —-
auxdits carriers
et propriétaires d'élever les piliers, hagues et
murailles
nêcessair respoui le soutènement des terres aux endroits des
carrières où il
en manquerait dans ledit espace de quinze toises près
desdits ouvrages
et chemins publics (1).
Il était donc
temps de s'arrêter, à moins de voir, tout d'un coup,
Montmartre
s'emgloutir dans ses propres flancs. Déjà, èii 1827, le
moulin de la
Lancette s'était ainsi effondré ; puis on avait été obligé
de fer* mer deux
jardins publics dont le sol entièrement miné n'offrait
plus aucune
sécurité aux danseurs qui s'y rendaient en foule ; dans l'un
d'eux, un fontis,
se déclarant soudain, faillit ensevelir toute une
noce, y compris
la mariée qui était juste* ment la fille de l'adjoint.
Ces deux jardins
publics ; l'un s'appelait Y Ermitage et était situé au
pied du versant
méridional de la butte, un café du boulevard de Clichy
en porte
aujourd'hui le vocable ; l'autre, suivant le goût du jour,
était
pompeusement décoré du nom de Tivoli, et remplaçait l'ancien
établissement du
Poirier sans pareil, dont un hôtel borgne sis
actuellement à
l'angle des rues Berthe et de Ravighan , garde le
souvenir et
marque l'entrée. Le moment était venu aussi d'évacuer
plusieurs maisons
où des lézardes et-- des. craquements, de mauvais
augure s'étaient
produits..Il n'y
(1) De La Mare,
Traité dé la'police, sup*- plément, t. IV, p. 386 et
507. • ' ■ ^
avait enfin plus d'autre parti à prendrecontre un état de
choses devenant de
plus en plus inquiétant, c'était de réclamer saw
retard la
suppression complète de l'exploitation des carrières, et c'est
ce qu'on fit.
En conséquence,
la commune chargea en 1837 son ingénieur, M. Hippolyte
Hageau de
procéder à une vérification contradictoire des plans des
carrières, et
d'établir un rapport sûr le résultat de cette enquête (1).
En résumant ce
rapport, document descriptif très intéressant au point de
vue de la
topographie souterraine de Montmartre, voici l'état dans
lequel se trouvait
la butte, il y a environ un demi-siècle, par rapport
à ses carrières.
Elle était cernée :
Au sud, - 1° Par
le cavage de haute masse (2) Muller, dont
l'exploitation
at(1)
Hippolyte Hageau,
Rapport sur les carrières de Montmartre, Paris, 1837,
in«4°.
(2) On peut
remarquer, dans ce rapport, que M. Hageau a adopté, pour les
carrières de
Montmartre, la division en haute et basse masse indiquée,
en 1780, par M.
Pralon, dont nous avons reproduit plus haut le texte. —
Pour
l'intelligence des choses, ajoutons quelques explications. Suivant
les conditions de
gisement, on avait adopté deux modes d'exploitation,
savoir :
1<> A ciel ouvert, là où la masse n'affleurant qu'à peu de
profondeur,
nécessitait une découverte peu coûteuse, 2° en souterrain,
dans le cas
contraire ; et, suivant qu'on accédait à la masse par puits
verticaux, ou par
galeries débouchant dans un escarpement, on divisait
les carrières
souterraines en cavages par puits et en cavqges abouches.
r.î 20 -
teignait le mur
limite du Chemin- Vieux (rue Ravignan) (1), longeait les
maisons désignées
sous le nom de Richon, le carrefour Traînée; le
Pavillon dé
Gabrielle (2) et la place du Tertre, en commettant dans
toute son étendue
de graves contraventions, quant aux distances à
conserver; 2° par
la carrière de basse masse Ghevreuse, située sous les
terrains Haullier
et Gandon : ce cavage passait pour avoir été écrasé,
mais on ciaignait
que l'écrasement ne fût complet et qu'il subsistât des
vides ; 3° par le
cavage de basse masse9 Muller, dont les vides, situés
au bas du
Chemin-Vieux et sous la place de l'Abbaye (place des
Abbesses),
mettaient en péril plusieurs maisons, notamment la
De plus,
l'exploitation des carrières souterraines de Montmartre avait
lieu* par piliers
tour nés,comme cela se pratique encore à Montreuil et
à Pantin
.C'est-à-dire qu'on procédait par galeries parallèles qu'on
recoupait ensuite
transversalement en manière d'échiquier. Ces galeries
avaient environ
six mètres de largeur et une hauteur variant de 10 à 15
mètres, suivant
la puissance de la masse. La base des Ïûliers réservés
occupait environ
le quart de a superficie du champ exploité, et une plus
grande étendue
prés du ciel de la carrière, par suite de la forme
ogivale donnée
-à'la partie supérieure des galeries.
(1) Nous
indiquons entre parenthèses les dénominations nouvelles de rues
qui ont été
substituées aux anciennes. . ;(2)* Le Pavillon de Gabrielle
était une
cons.tr.uc.tior. isolée, sans caractère, datant tout au plus
du premier Empire
et située au milieu d'un jardin, où l'on accédait par
une allée ^30 —
maison Muller et
le PetU-Bicùtre (1) ; ¥ par le cavage haute masse
(Sillet, dont 1^
périniètro trop avance menaçait là Cour du Pressoir
(rue
Saiht-Ëleuthèré), les ôbiislruçtions Borelle et le terrain
appartenant au
sieur Lambert^ qui était fréquenté par le public ; 5° par
le cavage passe
masse Gillet, qui atteignait le terrain Lambin ; 6° par
lu carrière haute
étroite, qui
aboutissait sur la place du Calvaire par une porte portant
le n<> 3.
Nous n'avons rien trouvé qui pût justifier en quoi que ce soit
sa dénomination.
Ce pavillon, qui appartenait depuis longtemps à la
Tille de Paris,
servait de presbytère aux curés dô Saint-Pierre; M.
l'abbé Fleuret
l'a habité, en cette' qualité, jusqu'en 1888. Condamné à
disparaître par
suite du futur prolongement dé Ja rue Azaïs, ce pavillon
vient d'être
abattu en raison de son état de délabrement qui ne lui
permettait pas de
subsister jusrjue-lV sans de trop grosses et
dispendieuses
réparations. (1) Cette dénomination do Petit-Bicétre an«
nonce que
l'établissement d'aliénés du doc: teur Blanche à Montmartre,
aurait bien pu
avoir là un précédent, sinon lin rival. Quoi qu'il en
soit, ce n'était
pas autre chose que ce qui restait dés anciens
bâtiments de
l'abbaye. Son exact emplacement est marqué par la longue et
vieille maison de
rapport qu'on voit au n° 7 de la rue de La Vieuville,
et dont la
façade, située obliquement en arrière par. rapport à
l'alignement de
la rue, indique une existence bien intérieure au
percement de
celle-ci. Ses caves sont peut-être tout ce qui subsiste
des, diverses
constructions de l'abbaye. Cette maison appartient
actuellement à M.
Guélorget, architecte,, à qui l'on doit la nouvelle
mairie de Pantin.
masse Ladaire,
dont le cavage s'avançait vers l'église Saint-Pierre et
la rue des
Rosiers, sans cependant menacer ni l'une ni l'autre.
Au sud-est, — par
deux cavages haute masse, savoir : 1° celui de Ferry,
qui touchait
presque à sa maison ; 2° celui d'André Muller, qui était
remblayé, et
dont, par conséquent, on n'avait pu vérifier le périmètre ;
là, d'audacieux
empiétements poussés, à l'ouest, jusque sous la
plateform e même
du moulin de la Lancette (1) avaient déterminé la chute
de celui-ci, en
1827 ; chute qui, si elle eût été instantanée, aurait eu
les suites les
plus graves et lés plus déplorables, car le moulin avait
continué d'être
habité. Lors de cet accident, on dut, par mesure de
précaution,
évacuer la rue Feutrier également en péril. Il était en
outre permis de
suspecter le remblai de cette carrière, par suite des
dépressions
survenues à la surface du sol dans la partie attenant au
chemin de la
Fontenelle (rue La Barre), qui, dans une partie de sa
longueur, restait
comme suspendu entre les espèces dé ravins qu'avaient
formés de chaque
côté les excavations des carrières ; tandis que, dans
une autre partie,
vers le nord, l'exploitation s'avançant sous presque
toute la largeur
de ce chemin, en avait entraîné l'effondrement en
plusieurs
endroits. .
A l'est, ■'— par
deux cavages haute masse : 1° le cavage de Cottin, dont
une
(1) Voir notre
article sur les moulins â mnL suppl. litt. du Figaro du
23 mars 1839;
partie s'était affaissée, et dont l'autre menaçait de trop
près le chemin de
la Fontenelle ; 2° le cavage de la veuve Goguin, qui
était remblayé ;
son périmètre, vers le sud, s'étendait jusque sous
ledit chemin et v
causait, comme le caVage d'André Muller, un
effondrement qui,
pendant plus d'une année, priva le public de son accès
; tandis que,
vers l'ouest, le front de masse était poursuivi jusque
sous le terrain
du sieur Sulot, d'où résulta d'ailleurs un procès entre
celui-ci et la
veuve Goguin.
Au nord-est, — 1°
par les deux cavages Suret : YUÏIJJLQ haute masse qui
atteignait le
chemin de la Bonne et le regard en maçonnerie appartenant
à la dame de
Roma? net; l'autre de basse masse, qui, vers le sud-ouest,
approchait de
trop près l'habir tation dite le Réduit (1), et longeait
la route dite
chaussée ou pavé Clignancourt (rue Rarney) ; 2° par une
carrière sans
intérêt ni importance, appartenant à Mme de
(1) Situé au bas
de la rue de la Fontenelle, tout auprès d'un bouquet
d'arbres, le
Réduit, ou plutôt le Réduit solitaire, était un débit de
petit bien, assez
achalandé vers 1840. Jl faisait concurrence à un
cabaret voisin,
appelé la Cuve renversée, qui se trouvait au coin de
l'escalier Birôn
(rue Labat) et de la rue Ramey, où était le petit Dois
des llettes et au
fond une entrée de carrière. La Cuve renver* sée, qui
n'était à
l'origine qu'une modeste cantine de carriers, était dans toute
sa vogue, vers
1848, alors que Mme Vincent Ballue en était propriétaire.
—33- ; ;'
Romanet et
qu'exploitait la veuve Vaugeois.
Au nord, — par
les trois cavages de basse masse des sieurs Barbot, Diard
et Borelle. Entre
le cavage haute masse Suret et le cavage basse masse
Borelle, il
existait une succession d'exploitations à découvert qui
serraient la
butte de plus près encore que lescavagesde bassemasse. En
effet,
l'exploitation du* sieur Hêricher exposait à un péril imminent la
maison de la dame
Tardieu (1) et celle du sieur Barbot. L'exploitation
de haute masse,
faite à découvert par le sieur Borelle et qui attenait
presque à son
cavage de bassemasse, avait été poussée, vers le nord-est,
jusqu'au bord du
Chemin des Boeufs (rue Marcadet), et vers le sud-est, à
quelques mètres
du chemin de la Fohtaine-du-But ; ïe sieur Borelle avait
même ouvert de ce
côté un cavage qui, passant sous ce dernier chemin, y
donna lieu à un
fontis.
Au nord-ouest, —
par deux cavages de dasse masse, l'un, celui de la
Canne ou de la
Hutte au-Garde, entouré d'anciennes excavations
insuffisamment
remblayées, qui traversaient le Ghemin-desBoeufs ;
l'autre abandonné,
ayant appartenu au sieur Magnan.
A l'ouest, ■— 1°
par le cavage de haute
(1) Actuellement
53, rue du MontrGenis, cette maison est celle où vers
la fin du siècle
diernïer fut installée une manufacture de porcelaine.
Voir notre
article intitulé le vieuàa JClignancourt au journal le Mot
d'ordre du 6 mai
1887.
-T.84 ~
masse Belhomme et
Tourlaque, qui atteignait le mur de clôture du sieur
Auguste Debray ;
2° par le cavage de basse masse Belhomme, qui longeait
leChemindes-Damës
(rue de Maistre).
Enfin, la
ceinture des carrières se terminait au sud-ouest, — par la
carrière dehaute
ei basse masse Hôricourt, dont les cavages s'étendaient
jusque sous les
maisons Labre et Fleury, qu'on avait dû évacuer, et sous
les jardins Burcq
(1) et'Virey dont on avait, pour les mêmes raisons,
interdit la
fréquentation au public. , En "résumé, suivant le rapport de
Mu. Hageau, la
butte Montmartre se trouvait serrée d'extrêmement près
parr une ceinture
de carrières qui, sauf très peu.d'exceptions, avaient
approché,, soit
des constructions riveraines., soit des chemins puT
blics., beaucoup
plus près que né le permettait le règb ment, dû 2£ mars
1813, lequel
était ,en viçuqu'r ; dans quelques casmême, les
exploitations
avaient,été poussées jusquesous des constructions ou des
cjiemins,,. et il
.,én.' était résulté , tant pour les habitants '
riverains que
pour le public -, de graves inconvénients. Ainsi,, par
exemple,, deux
voies, principales, le Chemin-Vieux et celui de la.
Fontepelle,. se.
trouvaient, dans.iirçe partie de leur longueur, comme
suspendus un peu
trop
(1) Il .est-à
remarquer- que la plupart des noms dQ personnes, que nous
avons cités d'a:
près le rappoiit -de ,M'. Hageau, notamment
Mulle^.Feûtrier,
Collin, Diard,'Tour laque, Byrcq,,etc, /sont devenus
deJs, déno
minationsde rues pour lé XV1II9 arrondissement. - hardiment
entre les ravins
assez profonds que formait, dé chaque côté, le terrain
abaissé des
carrières, et ils étaient encore bordés, en quelques points,
par dès vides non
remblayés, danger qu'ils partageaient, du reste, avec
le chemin de la
Cure (rue des Abbesses) et celui des Dames (rue de
Maistre), avec
plusieurs constructions, places, carrefours, peut-être
aussi avec la
chaussée de Glignancourt, le Chemin-desBoeufs, etc.;
Il ne restait
donc plus en 1837 que fort peu de masse apprendre par
cavages, ainsique
par exploitation àciel ouvert.
En présence des
nombreuses infractions aux articles les plus importants
des règlements en
vigueur, il s'ensuivait que les. plaintes élevées par
les habitants de
la butte Montmartre étaient fondées, et l'en comprit
aisément, sans
doute, que ceshar bitants, convaincus comme ils
l'étaient, de
l'inexécution des règlements dans le présent, dans le
passé, devaient,
en conclure qu'il était impossible d'obtenir, d'une
manière certaine,
l'exécution de ces rèn glements,en ce qui concernait
les cavages ;
qu'ils ne pouvaient, par conséquent, avoir; foi dans
l'avenir, et ne
faisaient point unedemande injuste et exorbitante
lorsqu'ils réclamaient
la cessation absolue des ca^ vages, et,
conformément iau\
règlement, le remblai des vides .existants.
'- $K ' i ' -
■':■".
Les réclamations
des habitants de Montmartre, ainsi formulées, ne
restèrent pas
longtemps sans' résultats.' L'administra?, - 36 — ■
tion prit
aussitôt un arrêté interdisant )our l'avenir toutes
exploitations
nouvel^ ! es en souterrain et arrêtant définitivement
;outes celles en
cours. Seules, quelques carrières à ciel ouvert
restèrent
autorisées. Dès lors l'industrie plâtrière de la butte, ainsi
réduite/ alla en
décroissant jûsqu'en 1860* épéaue à laquelle
l'interdiction
prononcée^ en 1813, pour l'intérieur de Paris fut étendue
à la zone
nouvellement annexée. En effet, Y Annuaire de Montmartre de
1854, publié par
Lèfèuvé, indiquait encore huit plâtriers; deux ans
après, il n'y en
avait plus que cinq.
En attendant,
l'administration avait pris les mesures de consolidation
nécessaires à
l'utilisation de la surface des terrains exçâvés. En 1842,
on exécuta dans
la région affaissée derrière la mairie d'immenses
remblais, sur
lesquels se tracèrent des alignements-pour la construction
des nouvelles
maisons (1). Les cavages abandonnés furent comblés, soit
par des bourrages
en terre, soit par des éboulements provoqués au moyen
de la poudre.
Cette dernière façon d'opérer, appelée foudroyage, n'était
pas neuve : une
déclaration royaie,en date du 29 janvier 1779* en avait
déjà prescrit
l'emploi, à la suite d'un brusque effondrement survenu à
MéniJmontantj en
1778, et où sept personnes avaient été englouties.
C'était
assurément un moyen rapide et très écomique pour combler des
excavations, dont
les galeries
f (1) Ghéronnet,
Histoire de Montmartre, p. 66.
~~ 37 -
avaient six
métrés de largeur et atteignaient dix et même quinze mètres
de hauteur dans
Ja haute masse ; mais* outre
lôsinégalitésd^éçroulement^uike
produisaient et les vides qui
subsistaient
forcément, ce moyen offrait l'inconvénient de disloquer
toute la masse de
recouvrement et de ne plus lui laisser de stabilité
suffisante pour
l'assiette des constructions futures.
Aussi, est-ce
avec des terres de remblai provenant du dehors que fut
entrepris le
comblement de cette partie si importante dos carrières de
Montmartre,
située en regard de la place Saint-Pierre. Certes, le
procédé fut lent
et dispendieux ; mais, répétons-le, il était préférable
vxifoudroyage
pour la conservation du sol en bon état de stabilité (1).
Ces travaux
fuient commencés parles ateliers nationaux de 1848: On prit
la terre là où
l'on put, c'est-à-dire au plus près, en rognant,
diminuant et aplanissant
les abords ; et c'est ainsi que fut créée la
place
Saint-Pierre, dont l'emplacement n'était alors qu'un terrain
vague, inégal et
bouleversé, où des déblais et des gravats, sortis des
carrières
voisines, s'étaient depuis longtemps amoncelés au point de
former plusieurs
monticules assez considérables» Le dernier monticule de
ce genre que!
nous ayons vu subsister, est la butte aux cochons * sur
laquelle iL y avait
une petite cahute en planches, où (1) J. T. Dunkel, Topographie et consoli*
dation des carrières sous ParisParis, 1885, gr.in-4°, p* 32 et 50.
vivait une pauvre
vieille femme qui élevait dos porcs. La butte aux
cochons dispàriitj
à son tour, avec ses hôtes pour faire place au marché
Saint-Pierre.
Enfin, en place de l'escarpement à pic, troué de qùaire
bouches ogivales,
noires et béantes, qu'on apercevait jadis au pied dé
la butte, on voit
aujourd'hui l'amorce du riant jardin qui doit monter
jusqu'aux marches
du Sacré-Coeur, Ainsi, il y a déjà un demi-siècle, il n'était que temps de
consolider la butte Montmartre, et, malgré les précautions urgentes prises à
cet égard, tout danger ne put être conjuré immédiatement, quelque moyen qu'on
employât pour le prévenir.
Pendant quelques
années encore les carrières de Montmartre eurent à faire parler
d'elles, s'il faut en croire les quelques faits-divers de journaux
conservés par l'historien Ghéronnet dans ses notes manuscrites que son
petit-fils a bien voulu nous communiquer.
« Le dimanche 7
août 1843, disent ces « notes, entre une heure et deux heures « de la
journée, les habitants de Montmartre ont été vivement alarmés: Une secousse
assez violente a ébranlé la partie ouest des terrains situés
au-dessus « des carrières ». Plusieurs personnes se «
sont mises à
courir en voyant rouler lés « pierres qui se précipitaient
en bas. Le «
mouvement impulsif s'étant calmé, l'as« surance est revenue
dans les esprits
ef« frayés. Néanmoins on a procédé imédiatement à une enquête dont le résultat
a été de faire connaître que la secousse ressentie provenait d'un éboulement
intérieur dans les vastes abîmes sur lesquels Montmartre est suspendu
« Le 9 août
suivant, M. Biron, maire de Montmartre, démentit cette
nouvelle donnée
par les journaux. Sans doute, il le fit dans le bût de
tranquilliser ses
administrés, car il n'en est pas moins vrai et très
certain que la
semaine d'après on exécuta de grands travaux d'urgenee
dans les
carrières où la mine jouait tous les jours pour faire tomber
d'énormes croûtes
et détruire par cet infaillible moyen ces dangereuses
et menaçantes
excavations.
« L'alarme du 7
août n'était que le prélude d'un événement qui, trois
mois plus tard,
c'est-à-dire le 19 novembre 1843, vint tout à coup
renouvêler les
terreurs des habitants de Montmartre de l'autre côté de
la butte. «
Depuis de longues années une vaste nappe de glaise s'était
accumulée sur son
versant oriental. Détrempée, par les pluies si
abondantes de
cet. automne, cette masse lourde, et compacte s'est mise
en mouvement la.
nuit vers trois heures du matin, sur une longueur
d?ènviron trois
cents mètres. Cette espèce de lave boueuse a pris sa
direction vers
quelques maisons situées au pied de la butté au fond de
l'impasse
Saint-André (rue André-del-Sarte) et bientôt les a mises en
péril. Fort
heureusement l'éveil a été donné à: temps, et les locataires
de « ces maisons
ont pu se soustraire au « danger. On n'a eu à déplorer que
la « perte de
trois maisons. Les ingénieurs « des mines ont été avertis
aussitôt, et, «
dès le lendemain, une enquête a été « commencée . et
suivie bientôt
d'une dé« claration affirmant que le mouvement « avait
été spontané. »
Des accidents du
genre de celui-ci devaient être fréquents surtout de ce côté de la butte,
à cause des carrières à ciel ouvert qui y étaient
situées à flanc
de coteau, et dont la masse de recouvrement comportait
d'épaisses
couches de glaises vertes. Or, quand ces glaises étaient
tranchées, soit
pour l'ouverture, soit pour la poursuite de ces
exploitations ,
elles ne tardaient pas, sous là pression du sol, à se
mettre en
mouvement, entraînant avec elles, et le sol et les
constructions
qu'il supportait; et ce mouvement était parfois d'autant plus précipité
qu'il avait lieu sous l'énorme poussée des eaux pluviales qui s'y étaient
accumulées et ne pouvaient plus se faire jour autrement, par suite de
l'imperméabilité même de ces glaises.
Quoi qu'il en
soit * depuis quelques mois seulement, les travaux de consolidation
commencés, il y a déjà cinquante ans, dans ces parages, paraissent
seulement prendre quelque tournure d'achèvement. Nous voulons parler de
l'épaisse et bizarre muraille en meulière que l'administration vient de faire
élever à très grands frais assurément, sous une forme
prétendue
pittoresque, de simili rochers,
— 41 --'■./'
par dévers le
marché; Saint-Piëtre/ à l'extrémité de la rue
André^del^ârte.
Si Mtthtmàrtrédbitêtre ceint d'une muraille, que ne se
sert:pn dé la
façén bien; autrement économique et décorative dont
Panùrgè proposait
tin joùr-à Pantagruel dé murer là^ville dé Paris ! "■.
cr Malgré les
accidents de 1843, ajoute « Chêronrieti qui bien constatés
devaient «
prescrire à l'autorité toutes lés mesures « à prendre pour
éviter lé retour
de sém* « blables alarmes et leurs terribles cpnsé«
quences^ rien n'a
encore été fait dans ce «but. Le journal la Presse dû
10 mars « 1846
fait connaître au publié çpie Tex« ploit&tiôh d'une
nouvelle carrière
a lieu ce dans la butte Montmartre et s'étend jus» que
sous l'église
Saint-Pierre , ejt se « poursuit en dépit des rapports
faits ce par les
ingénieurs spéciaux. Ces trace vaux, s'ils sont poussés
plus activecc ment,
compromettent singulièrement le « vieil édifice
religieux et
plusieurs maice sons. On frémit en pensant au désastre ce
que pourrait
occasionner un semblable, ce écroulement. Le conseil
municipal a fait
ce à ce sujet d'énergiques protestations à ce
l'autorité et
surtout contre l'autoris?tiôn « donnée pour cette
dangereuse
exploitace tion. Cette permission expirera le 81 « décembre
1846. Dieu
veuille que d'icice là on n'ait point à déplorer quelque ce
malheur !»
D'après cela, on
voit que la sage lenteur (et la notoire incurie de
notre administra*
tion ne datent pas seulement d'hier. Nous leur devons
tout récemment
encore l'a»
— 42 —
bandon anticipé
des bâtiments de la vieille mairie du dix-huitième arrondissements
qui,depuis au moins six années s'affaissaient
graduellement
dans leur sol miné et mouvant, sans compter les dernières
secousses qui
disloquèrent en même temps les escaliers des rues Sainte-Marie et Foyatier. Mais les tremblements de terre de Montmartre ne
sont plus à compter
(1).
Avec ses
carrières, la butte Montmartre à évidemment perdu un de ses plus curieux
aspects ; mais, il faut l'avouer, cette perte de
pittoresque a
peut-être bien été compensée par un peu plus de sécurité publique ; car
depuis lougtemps les cavages abandonnés étaient devenus
le refuge des
vauriens et des vagabonds, et il, courait sur leur compte les bruits les
plus étrangement sinistres. Aussi, passé certaine heure,
redoutait-on de
s'en approcher.
Il est vrai aussi
qu'il entrait beaucoup plus de chimères que de raison dans la frayeur
des bonnes gens. Les imaginations gardaient encore
l'impression des
naïves et enfantines terreurs a;u'y avaient jadis répandues de
fantastiques. récits ; car Montmartre passait dans l'ancien
temps pour avoir
été fée, et ou disait de ses carrières qu'elles étaient le garde-manger
des ogres qui se repaissaient des enfants de
(1) Voir notre
article intitulé Montmartre"Volcan dans le Mot d'ordre du
17 juin 1887.
' ' ■■'■ — 43—
.;"■
Paris (1). Les carrières
avaient conservé leur mystère/ et, si la
légende avait
perdu dé son merveilleux, on ne pouvait s'empêcher de
songer que leurs
nouveaux hôtes étaient d'un voisinage peu rassurant.
Gérard desNerval/
qui/ n'allait à Mont* martre qu'en bonne fortune/quând
il était
amoureux, vèVv dé la lune, s'est plusieurs fois dirigé vers ces
mystérieuses
cryptés. ce II y avait, dit-il/une carrière du côté du ce
Château-Rouge qui
semblait-.un. temple ce druidique avec ses hauts
piliers soùtecc
nant des voûtes carrées". L'oeil plongeait K dans des
profondeurs, d'où
l'on trem(( bla.it de voir sortir Esus, ou Thot, ou «
Gérunnos, les
dieux redoutables de nos ce pères..... » Mais, pour
rassurer le
lecteur au sujet des hôtes qui s'y trouvaient, il a soin
d'ajouter : ce Un
voleur sait itoucc joûr^ où coucher, et l'on
n'arrêtait en, ce
général dans les carrières que d'honnêce tee vagabonds
qui n'osaient pas
dernancc dër asile au posté, ou des ivrognes des-; ce
cendusdes buttés
qui ne pouvaient se; ce traîner plus lôhL.. ; (2)».:
Lé dernier
trouvère de notre colline, Charles Mopsélet/ pour qui ce
Montmartre «
faisait l'effet d'un dé ces pays créée eh ce hièmëltéhips
que là
BïblïotM0içMeue ce et les images d'Ëpinàl », rie paraît pas non
plus s'éfré
beaucoup effrayé dé liosf carrières et de leurs habitants!
{ (1) Alfred
Sensîêr, Elude sur George MU chel> Paris, 1873/in-So/pé 88. !
•■■■ (ty Gérard-
de' Nerval *{ là Bohème gala/nie,
— 44 —
ce Elles avaient
eu, dit-il* trois races très; ce distinctes dé
locataires ;
d'abord les aniee maux antédiluviens, dont les ossements ce
retrouves ont
fourni de si ingénieuses ce hypothèses â Guviër ; ensuite
les carce riers
qui y travaillaient à toute heure de ce jour^etde nuit ;
et enfini quand
les carce riers furent partis, les .vagabonds de ce
toute espèce en
quête d'un asile, c'estcc à-dire d'une pierre pour
reposer leur ce
front... (1).
Une autre cause
des superstitieuses terreurs dont lés carrières de
Montmartre furent
l'objet, c'est qu'on disait aussi qu'elles avaient
sër.vi à plus
d'un conciliabule dé sorciers. Ëri effet, dans ces temps,
où la police
était ce qui faisait le plus défaut, il n'y avait pas de
lieu plus
iâvoràble aux réunions clandestines. Sans en médire davantage,
rappelons cependant
qu'elles servirent de point de départ à la Sopiété
de Jésus.
Ignace de Loyola,
qui était venu à Paris terminer ses études,
affectionnait
particulièrement la colline. de Montmartre où tant de
pieuses
traditions se rattachent; il la fréquentait souvent ensuivant
les notes du P.
Olivier Manare conservées aux archives des
Boilatidistes, il
s'y était même choisi,dans l'excavation souterraine
d'une ancienne
carrière à plâtre située non loin de la chapelle du
Martyre, un lieu
de retraite, où, loin des bruits de la ville, il
passait le jour
en pénitence et la nuit en
* (1) Charles
Monselet, les Souliers de Sterne, p. 1 et 2.
-- 43 — ..
prière (1) ; Il y
réunit ses prerriiers discfcpies avant de se rendre
au; sanctuaire
yo^ sin, le jour où ils prononcèrent ensemble le voeu
solennel qui fut
là ba^e; de leur fameux institut* On serait tenté de
croire qué^trois
^ieclès plus tardv Béràhger songeait à cette
particularité
d'origine, lorsque sa verve) satirique lui dicta les deux
premiers vers dé sa
chanson dès Révérends Pères r ':;;:" ':' v™v\ >■ .'.
■ '■;;■
Hommes noirs d'où
sortez-vous ? Nous sôrtoiië de dessous terre.
Mais il y a de
singulières coïncidences dans l'histoire. Là, où le
fondateur de
l'ordre des Jésuites était allé méditer son «euvré, près de
c'ent ans plus
tard, les membres d'une secte d'illuminés, où la
franc-maçonnerie
moderne était en germe, vinrent à leur tour tenir de
secrètes assises.
On lit en effet dans un livret de 1623, intitulé :
Effroyables
pactions faictes entre le diable et les prétendus
Invisibles...,
(jue les frères Rose-Croix se rassemblaient dans les
carrières dé
Montmartre pour y proposer les leçons qu'ils devaient faire
en particulier
avant de les rendre publiques (2).
Un fait peu connu
: c'est dans les carrières de Montmartre que, en
décembre 1789,
Marat vint chercher un refuge contre
(1). Gh. de
Saint-Glair, la Vie de saint Ignace de Loyola, Paris, 1890,
gr. in-.8°.
(2) Ce livret a
été reproduit par Edouard Fourniei.' dans ses Variétés
historiques et
lit' téraireS) t. IX> p. 290.
y■■'■'■: -46 —
lès poursuites dé
la Commune et du Ghâ^ tèletv ïfùe ses adversaires
avaient arihes'
cohtré lui (1). v > - . ;
Pour terminer, *
nous pouvons encore citer un dessin de l'Illustration
du 1er au '8 ?
juillet 1848, figurant parmiles derniers épisodes des
sanglantes
journées de juin* la poursuite des insurgés par la troupe
dans les
carrières de Montmartre*
Puis, en regard
de ces quelques témoignages évoqués d'après l'histoire
et les poètes,
que né pouvons-nous enfin placer les documents d'un autre
genre, mais non
moins précieux, qu'a laissés le peintre
essentielleriient
montmartrois, George Michel i notamment ses dessins à
la plume
rèhaussésde couleurs à raqiiarelle,qui sont d'un effet si
arrêté, si
saisissant ! Suivant lé biographe admirateur de Michel, ce
ils ce
représentent, le plus souvent, les approce ches des carrières,
avec leurs
falaises ce blanches et crayeuses, puis l'entrée opacc que de
ces mêmes
carrières, qui semée blent des trous à mystères et des labor «
ratoires de
meurtriers (2). »
A présent, les
anciennes carrières de Montmartre n'existent plus pour le
public qu'à
l'état de souvenir. Depuis longtemps, les ingénieurs chargés
de leur
consolidation en ont fait murer toutes les issues, et gardent
avec un soin
jaloux les clefs des quelques portes de service qu'on «y a
(1) F.-E.
Guiraud, Oraison funèbre de Marat, Paris* 1793, in-8<>,
(2) Alfred
Sensier, Étude sitr George Mi* chel, p. 72.
— 47 —
ménagées pour eux
seuls. Pour remplacer les pittoresques bouches de nos
anciens cavages;
aujourd'hui disparues, feu M. Alphand, d'excellente
mémoire, nous a
en revanche dotés des rochers d'opérette qui bordent le
pied de la butte,
visrà-vis la rue André-del-Sàrte. On chercherait en
vain parmi ce
mièvre décor planté de volubilis et de capucines, l'entrée
de la carrière
Où j'allais,
turbulent moutard,
Ivre d'école
buissonnière
Voir vernir les
ballons Godard (1).
Mais où sont les
neiges d'antan^^T^\
f (1) Georges
Nicolas î La Fontaine dit Bit (souvenir de 1849), pièce de
vers de 16 pages
in-12, Paris, 1884.