Les images sont crues, trop crues, elles sont fortes, trop fortes. La petite fille Lola si fragile nous ouvre des portes sur des parcours de vie effrayants, des vécus que nous côtoyons tous, tous les jours, mais que nous nous refusons de voir. Ces trajectoires de vie qui sont là, face à nous, dans nos rues, dans notre immeuble, dans nos bus, dans le métro, des images de vécus de frères humains que nous repoussons avec grande terreur et la dernière violence, comme lépreux et pestiférés au Moyen Age, des vécus qui agressent si monstrueusement la douce et sainte vision que nous portons tous de nos belles vies vouées à la très miséricordieuse et très sanctifiée Eglise de la Grande Consommation. La petite fille Lola qui se promène là à côté de moi, me dérange, elle m’emmène, cette petite, dans des caves où je ne veux pas aller et où elle ne devrait d’ailleurs pas se trouver, même pour visiter, un univers qui heurte mes aspirations de félicité, de plaisir, de légèreté, de confort, de douce joie … La petite Lola dérange nos imaginaires emprisonnés, formatés, affamés d’illusions dorées, pailletées. Ma vraie vie c’est celle que je vis avec tous mes vrais amis : le gentil Michel Drucker, oh oui ! oui ! le beau et impétueux Johnny, oh oui ! oui ! le courageux Michel Sardou, oui ! oui ! la gentille Mylène Farmer ! oh oui ! la pulpeuse Monica Belluci ! oh oui ! oui !!! l’intelligente et engagée Mireille Mathieu !!! oh oui ! oui ! je connais tout de leur vie, par cœur ! c’est normal, c’est mes amis !!! Et cette Lola là ! ma petite voisine, la voilà-ti pas qu’elle s’est mise dans la tête de m’empêcher de vivre ma vraie vie, normalement, avec mes vrais amis, chez moi à Beverley Hills !!!? quand même ! J’aime tous mes amis, Paris Hilton, Will Smith, Angelina Joly, Brad Pitt, Leonardo DiCaprio, Lady Gaga, Sylvester Stalone, Tom Cruise et tous ces autres vrais amis qui m’adorent et partagent ma vie, que de vrais amis qui m’aiment et qui tous m’apprécient, c’est beau ... Et cette petite Lola, c’est horrible, qui voudrait m’empêcher de vivre ma vraie vie !?… c’est insupportable !!!
La petite fille Lola, nous prend tout doucement par la main et nous oblige à nous libérer de nos imaginaires endormis, congelés, prisonniers, sous influences de nos bonnes images magazines, télés, « glamour toujours » ... C’est par l’action de nos bonnes images médiatisées, bénies soient-elles ! que nos esprits faibles, fragilisés, apeurés, réussissent à bien repousser, à haïr, les images de nos ternes réalités, pour leur préférer, grâce à Saint Martin Bouygues, de très loin, cette magnifique autre si feutrée, facile, luxueuse, si aventurière, princière, bienheureuse, « le prince machin va épouser mam’selle machine, nous attendons ce beau mariage avec une telle impatience ! si vous saviez ! … d’ailleurs nous sommes invités, eh oui ! nous serons de la noce en quelque sorte ! hum … ça fait du bien !!!... Oui ?! … c’est pour quoi ?... Quoi ?! à la cave, la petite Lola ! ... mais je m’en fous monsieur Dugenou de votre petite Lola ! connais pas ! ... ». Notre grande aspiration spirituelle à nous tous disciples de l’Eglise de la Très Sainte Grande Consommation–Télévision des Cinq Continents, c’est : « SAUVE QUI PEUT !!! et laisse moi m’évader avec la télé ! ».
La petite fille Lola nous crie à tous : « AU SECOURS ! Nous avons besoin de vous !!! ». Personne ne viendra, nous ne nous réveillerons pas, autistes, nous sommes enfermés dans leurs images pour longtemps, nous ne les entendons pas, la télé crie plus fort, nous ne les voyons pas, « Amour, Gloire et Beauté », « Le Tour de France », les matchs de foot, « Vivement Dimanche », ont des images bien plus fortes, plus belles à nous montrer ... Absents de la vie, somnambules stériles, par incapacité à donner de l’amour, à produire de la vie, nous laissons les Lola crever dans nos rues, sur nos trottoirs, dans nos escaliers, dans nos caves, sans nous arrêter, sans réagir, afin de pouvoir retourner paisiblement dans nos vraies vies avec la belle Nicole Kidman, le beau George Clooney, la magnifique Sharon Stone, dans nos palaces et nos rutilantes limousines, sous la foule qui nous acclame. Petite Lola veux-tu bien me lâcher la main s’il te plait ! ça suffit !!! et maintenant, va-t-en donc jouer ailleurs voir si j’y suis ! tu m’ennuies ! moi je vis dans le bonheur chez moi sous le soleil de Malibu. Qu’est-ce qu’elle croie cette petite Lola, qu’avec ses cris morbides elle m’expulsera de ma vie de rêves … ! Notre choix est fait ! nous avons choisi ! notre vie est avec Jennifer Lopez, Madonna, Steven Spielberg, y a pas photo ! avouez ! …
Pour nous réveiller la petite fille Lola et son Grecos sont prêts à tout, même au pire … Mais ils n’y parviendront pas, qu’est-ce qu’ils croient !!! « chérie ça crie dehors !... » « M’en fous ! mets la téloche plus fort … ! ». Comme dans nos rêves de nuit, il nous faut un évènement choc, trop atroce, pour nous réveiller, la petite fille Lola et le Grecos s’essaient à provoquer ces évènements là, mais la plupart préfèrent continuer à regarder la télé, à dormir ... Ils ont néanmoins réussi à en réveiller quelques uns, dont je suis, le réveil a été difficile, violent. Je suis « Le Vieux Prince au Bois Dormant », la petite princesse venue me réveiller a 15 ans, elle m’a embrassé avec une vieille paire de tenailles et putain que le réveil est brutal ! elle m’a pété des dents. Après un engourdissement programmé, un état d’hypnose contrôlé, le réveil au monde est perturbé … Pourtant ils sont là tous à me crier « COUCOU JE SUIS LÁ !!! RÉVEILLE TOI PUTAIN !!! JE SUIS LÁ Á CÔTÉ DE TOI !!! NE ME LAISSE PAS CREVER COMME UN RAT !!! RÉVEILLE TOI !!! » J’ai ouvert un œil, j’ai entendu quelque chose … J’ai entendu la plume d’un jeune auteur grincer avec une fine et une extrême sensibilité, elle grince à fleur de peau sa plume. Dans l’écriture de Margot Marguerite nous ressentons la puissance, la souplesse, l’acuité infaillible de l’œil, le regard perçant du tigre. Comme le fauve, il est à l’écoute, comme le fauve, il porte la connaissance, la conscience suraiguë de son environnement, de la nature humaine, des gens, ses proies à croquer et pour lesquelles il déborde d’une énorme affection si pudique … Margot Marguerite, un homme qui a regardé, écouté les Hommes comme rarement … il en a fait le ferment de sa plume, une plume vivante, sans compromis, sans faux-semblant, en-dehors de toute « fauculerie», comme il l’écrit goulument, une écriture gourmande des mots, une écriture personnelle, une écriture margueritienne ; comme Frédéric Dard, Margot Marguerite réinvente la langue. « Lola, Reine des Barbares » est un roman hyperréaliste et pourtant tellement onirique, si étrangement lyrique, l’imaginaire qui le soutient est une ossature puissante. Cette alchimie improbable et réussie est la marque d’une grande écriture. « Lola, Reine des Barbares » est une œuvre littéraire d’une grande audace, d’une grande facture, qui porte la force et le mystère de la vie, le désespoir et les aspirations de la jeunesse, une œuvre qui se joue des convenances et de la mort. Une œuvre magistrale qui fait sienne la dernière phrase du grand roman d’Emile Zola, « Le Ventre de Paris » : « Quels gredins que ces honnêtes gens ! … » …
Julius Amédée LAOU